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Entretien avec Marie Serpereau
Philippe : Bonjour Marie. Je te connais plutôt comme femme de lettres, autrice d’un roman sur ta grand mère paternelle, mais aussi enseignante et grammairienne et je te découvre désormais également des talents de plasticienne . Tu serais passée des lettres à la peinture ?
Marie : Pas tout à fait. D’ailleurs cette exposition que je viens présenter au Salon de Musique à Embrun « Juste après la pluie « associe des petits poèmes à chaque tableau…
Pour ce qui concerne les arts plastiques, au début, je pensais même que j'étais incapable de faire de la peinture pendant très, très longtemps. Après avoir vécu, comme beaucoup de personnes, des cours de dessin très normés au collège, au lycée, où tu as toujours 8 sur 20 parce que tu ne vois pas très bien ou tu ne fais pas comme ce qu'il faudrait faire… Donc, j'étais persuadée que j'étais nulle en dessin, nulle en arts plastique et que ce n'était pas du tout mon domaine. Oui, j’étais ainsi plutôt littéraire et un jour, ça s'est un peu transformé quand j'ai dû passer un concours dans lequel il y avait une épreuve d’arts plastiques. Le thème, c'était le collage, et d'un seul coup, j'ai compris que j'étais capable de le faire. Donc je suis passée aussi aux arts plastiques, mais très, très, très longtemps après. J'avais plus de 40 ans.
P : Alors ici à Embrun, tu vas nous présenter une exposition qui s'appelle « Juste après la pluie ». C'est parce que tu aimes la pluie ?
M : J’aime certaines pluies. Les pluies d'été, quand la terre est bien chaude et qu'on a une odeur qui se lève de la terre. J'aime bien cette pluie-là. Les pluies diluviennes, pas trop. Les pluies incessantes, pas trop non plus. Juste cette pluie-là. Une pluie avec des odeurs, quoi !
P : Alors c'est vrai que dans tes peintures, on sent qu'il y a beaucoup d’éléments vivants. Forcément, il y a l'eau, la terre aussi, peut-être même le vent aussi. Comment te mets tu au travail ? Tu attends la fin de la pluie pour peindre ou tu n'attends pas que la pluie s'arrête ?
M : Je ne peins pas pendant la pluie. En fait, non, j'écris d’abord et après la pluie. Juste après la pluie, car au départ c’est d’abord un recueil de poèmes.
P : Alors, les peintures que tu nous présentes, ce sont finalement des illustrations de tes textes ?
M : Non. Il n'y a pas d'illustration des textes. En fait, avant la pluie et avant les arts plastiques, en fait, avant les peintures, il y a eu d'abord la poésie. Et la poésie, c'est un travail qui a commencé peut-être lorsque j’avais 30 ans. Et au fil du temps, j'ai écrit des textes que j'ai pu reprendre parfois, jusqu'à “Juste après la pluie”. En fait, c'était une unité, et un jour, je me suis dit que ces poèmes, je pourrais les traduire en peinture. Mais ce n'est pas de l’illustration. C'est-à-dire que j'ai pris l'ensemble des poèmes qui m'intéressaient, pour former un ensemble que j'ai intitulé « Juste après la pluie ». Il y a quatre saisons. Quatre saisons après la pluie et j'ai créé cet ensemble de tableaux qui correspondent à cet univers. Ensuite, j'ai attribué les tableaux à des poèmes particuliers. Ensuite seulement, j'ai écrit les haïkus.
P : Alors, est-ce que les haïkus c'est une contrainte pour plus de liberté ou c'est une forme qui s'est imposée à toi ?
M : Les haïkus, j'en écrivais beaucoup, en fait, quand tu n'as pas beaucoup de temps, que tu as une idée un peu fulgurante, ça te permet d'écrire, c’est une sensation particulière pour un moment de sensibilité.
P : Tout dire en quelques mots, comme tu aurais pu le faire en quelques gestes sur des peintures.
M : Oui, ou je dirais même autre chose, comme tu pourrais faire trois ou quatre mélodies… Parce qu'à la limite, si j'ai peu de temps, si j'ai vraiment quelque chose à dire, je peux me mettre au piano et jouer. Et là c'est complètement éphémère, il n'y a aucune trace, il ne reste rien. Pour un poème, je crois que je travaille beaucoup plus lentement. Et pour la peinture, c'est encore autre chose, c'est un autre univers. Ce n'est pas une traduction d’une pensée linéaire. On ne raconte pas une histoire. Et c'est ça que j'ai compris en fait. Si j'ai d'abord été littéraire je suis passée ensuite aux arts plastiques quand j'ai compris que j'étais capable de faire des arts plastiques, de travailler au niveau des tableaux, c'est quand j'ai compris qu'il ne fallait pas que je raconte une histoire.
P : Il n'y avait pas forcément de début, ni une même fin, et tu n'étais pas forcément obligée de tout faire d'un jet. Tu reviens parfois sur une peinture ?
M : Oui, bien sûr. Comme sur un texte d'ailleurs, mais en musique c'est plus difficile. En musique, ça y est, c'est fait. Ou alors tu composes et puis tu écris une musique jouée par d'autres. Ou encore, tu écris de la musique sans jouer de la musique. La peinture c'est plus un art solitaire, qui laisse une trace par définition alors que la musique s'évapore mais peut en revanche être un art plus collectif.
P : Lorsque tu peins, tu m’as dit que tu avais des séries qui correspondaient à des saisons, mais aussi à des étapes de vie. Cela veut dire que toutes ces séries, tu les as réalisées sur une longue durée ?
M : Non, les séries, je les fais sur un temps assez court. D'abord parce que j'utilise des matériaux, je mélange beaucoup les matériaux et une fois que ma palette de matières est prête, j'ai intérêt à l’utiliser.
P : Quelles sont les matières que tu utilises ?
M : Ça peut être du sable. Cela peut être aussi de la terre, du plâtre, du tissu aussi.
P : Selon ton inspiration, tes rencontres ?
M : C'est au hasard de mes rencontres avec la nature que je trouve les matières.
P : Tu utilises les matières qui apparaissent avec les saisons ?
M : Je ne sais pas vraiment. C’est saisonnier en fonction des couleurs. La pluie, parfois, elle ne tombe pas, c’est alors très sec. Les couleurs sont très claires, c’est très jaune , voire très ocre.
P : Je sais que tu habites régulièrement dans plusieurs types de régions tout au long de l’année. Tu voyages en bord de mer, mais aussi en montagne, et puis aussi à la campagne au milieu des vaches. Comment est-ce que cela influence ton travail ?
M : Pour cette exposition, ce qui a de l'influence, ce sont les lieux dans lesquels j'ai habité longtemps. Par exemple, c'est une partie des tableaux sont inspirés de mon passage en Algérie. Ça, je le sais. D'autres correspondent plus à la forêt, et d'autres.oui, plus au bord de la mer. Là où j'ai vraiment eu le temps de m'installer.
P : Ce sont des mémoires de ce que tu as vécu dans les endroits où tu t'es installée ?
M : Certaines choses, oui, des mémoires imaginées. Pour d'autres, c'est plus instantané. Cela dépend, effectivement, de la période.
P : Ces séries répondent-elles à cette idée de jouer avec le temps, avec les lieux, avec les espaces temps, et tout autant produire sur le vif dans l’instant du temps long ? Comme une opposition nourrissante ? Parce que jouer la durée sur l'instant présent, ce n'est pas si simple….
M : C’est l'évocation qui est dans la durée, mais en fait, le tableau, lui, est comme un instantané , une cristallisation.
P : Reste la question du format. Tu as toujours utilisé le même format sur cette série Tu t'es contrainte à ça ?
M : Oui, j'étais partie de poèmes sans forme fixe ( à l'opposé du Haïku qui est assez contraint ) mais quand même ce sont des textes assez courts donc je me suis dit que pour le tableau je garderai également une forme assez réduite. Mon tableau devait tenir dans format 13x13. L'idéal ce serait peut-être d’exposer dans une pièce carrée.
P : C’est un peu comme quand dans ta maison tu as une fenêtre et que si le paysage change, la fenêtre elle ne change pas.
M : Oui, c'est un peu ça.
P : Il n'y a sûrement pas de théorie, il n'y a sûrement pas vraiment de méthode. mais est-ce qu'il y a quelque chose qui est récurrent dans ta façon de faire pour démarrer, choisir un texte et démarrer l'œuvre ?
M : En fait, pour faire ce recueil, j'ai d'abord trié beaucoup, parce que j'avais écrit beaucoup plus que la quarantaine de textes que j'ai mis ensemble pour constituer cette exposition. Il m’a fallu d’abord trier, puis j'ai analysé les fils directeurs, les constantes qui organisaient mon écriture pour ce sujet-là. À partir de ces textes, j'ai sorti une sorte de vocabulaire commun de tous ces textes, c'est-à-dire que je me suis redonné un vocabulaire dans les sensations, les couleurs, l'image, les mots puis j'ai pataugé avec mes mains, mes pinceaux et mes collages pour créer des tableaux. Cependant , il n'y a aucun tableau qui soit assorti directement à un poème.
P : C’est peut-être pour ça, ce qui m'a étonné quand j'ai lu des textes, c'est que tu as associé des mots qu'on n'associe jamais, mais que le sens quand même est là. C'est étonnant aussi le fait de construire, déconstruire, reconstruire, transformer… Et à un moment, une œuvre sort avec juste quelques mots et quelques traits de crayon ou des taches de couleurs. Nous sommes surpris par des oppositions réunies, comme si tu arrivais à autoriser voire prolonger des contradictions.
M : Avec cette exposition j’ai souhaité que l’on ne voit pas forcément les textes. Les textes sont présents. accessibles mais cachés quelque part. Au visiteur d’aller le trouver. C'est-à-dire qu'on ne voit d’abord que les tableaux avec du son diffusé dans le lieu d’exposition. Les mots et les images se mélangent comme triés à nouveau par le visiteur.
Reugny, le 10 Juin 2025